Le récit d'Éric Therrien
8 septembre 2023 - Harricana 125 Kilomètres.
Dans ma préparation pour cet événement plutôt impensable, j’ai beaucoup pensé à mon père. Il m’avait dit avant son décès trop rapide, de ne jamais dépasser mes limites. Il s’était donné toute sa vie et peut-être un peu trop dans certaines activités qui l’ont stressé et au final le poussant au-delà de sa zone de confort, car il voulait toujours exceller. Mon objectif pour cet événement était donc de ne pas dépasser mes limites et pour ce faire je devais réussir à « courir » 125 kilomètres. Paradoxal me direz-vous… lisez la suite.
Un autre de ces défis fous avec un minimum de préparation dans mon cas! Sans plan d’entrainement précis, j’ai tenté de courir plus de D+, et ma plus longue sortie fut un 30km … ça a donné ce que ça a donné!
Oui je l’ai complété et j’en suis fier. Il faut dire que 50% des gens n’y arrivent pas, malheureusement.
Voici comment ça s’est déroulé :
Tout une planification est requise pour se sentir alaise dans ce genre d’événement : transport hébergement, nourriture. Plutôt solitaire et dernière minute, j’ai finalement couché à la roulotte chez mon cousin Gilles à 5 minutes du site de la navette de Clermont qui nous amenait au départ de 13h, après 1 heure d’autobus, à l’accueil de la ZEC des Martres.
Fébrile dès ce moment, l’ambiance est enivrante et les acolytes du CTB rendent la situation soutenable.
Départ canon en compagnie de Sylvain, malgré la volonté de partir lentement, j’ai surpris la communauté du CTB qui me suivait par le biais des temps de passages diffusés en direct, en étant 12e après 2h de course (15 km); j’étais très alaise dans les montées et descentes techniques de cette section du Lac à l’Empêche. Un feeling que je souhaitais conserver le plus longtemps possible car je me sentais super bien.
Probablement avec la quantité industrielle de bleuets à notre disponibilité dans cette section. On est clairement au paradis des bleuets!!! Il s’agissait de tendre la main vers le bas, écarter les doigts et votre main se remplissait de 5 à 10 bleuets bien mûrs. J’ai dû en prendre une vingtaine de fois , me disant devoir arrêter, avant que leur effet gastrique ne se face sentir trop tôt dans la course! De l’énergie naturelle qui faisait un bien énorme. À ne pas manquer.
Puis 22e après les Morios (Marmotte 35km) toujours technique et soudainement 30 minutes de retard sur un temps optimal mais finalement utopique!!! Le retard a continué à s’agrandir et c’est à ce moment que le défi a réellement commencé.
Les sections de boue se sont succédées au point tel que le trois quart de la course s’est effectué avec les pieds bien trempés, des particules fines de sédiment plein les souliers, qui a rendu ma peau malléable et créé des surépaisseurs s’apparentant à des ampoules… c’est ça la course en sentier… et tout le monde ont les mêmes conditions toutefois. Aucune raison de se plaindre.
Le feeling revigorant du début est donc disparu pour être remplacé par une gestion de douleur d’intensité 3 -4 aux pieds qui s’est maintenu jusqu’à la fin. Chaque pas demandait alors une concentration maximale.
Courir de nuit dans la bruine et le brouillard n’a pas apporté de défi particulier. J’anticipais un ralentissement de cadence et avec le calme de la nuit très sombre et la température idéale (un tant soit peu humide toutefois) je n’ai jamais ressenti de fatigue particulière. La seule embûche fut la lampe frontale jamais optimale; soit bon éclairage trop près des pieds, ou mauvais plus loin avec les reflets lumineux sur les gouttelettes d’humidité à couper au couteau. Une Fog light aurait été bénéfique!
De longues sections solitaires qui duraient parfois plus d’une heure sans croiser personne vous travail le mental dans cette nuit profonde. Mais de toute façon chaque rencontre ne me permettait pas de me motiver à aller plus vite ou ralentir : j’avais un rythme et une concentration que je devais maintenir pour rester en vie… à l’intérieur de mes limites !!!
Sauf à deux reprises. La première fois, j’ai couru avec Marie-Anne : elle s’était « accrochée » à moi en pleine nuit ayant des problèmes digestifs. On jase un peu, elle s’arrête près d’un ruisseau pour se rafraichir et se désaltérer puis elle décide de faire une micro-sieste sur un lit de lichen qui semblait des plus confortable. Elle insiste pour que je poursuive mon périple la laissant derrière. Quel ne fut pas ma surprise 1h plus tard la voir me dépasser toute fringante avec un groupe de coureur. La magie de la Trail venait de s’opérer : elle avait repris le contrôle de son estomac avec cet arrêt forcé.
La deuxième rencontre fut celle avec Caroline et sa pacer Lyne. On avait étrangement le même rythme. Sur des sections plus larges on était côte à côte; parfois elles étaient en avant et vice versa. Je les écoute parler surtout en essayant de comprendre leur récit. On échange nos noms. Au bout d’un certain temps Lyne me lance « Sais-tu que Caroline est la plus grande exploratrice du Québec! Tu parles à Caroline Côté !!! ». Ma belle ignorance. On s’est laissé au ravito du Coyote je crois. Je ne les ai plus revues, mais je sais qu’elle a terminé la course.
Pendant plus de la moitié de l'aventure, les ruisseaux ne nous ont pas accordé le moindre répit. Faisant fi des performances et donc rester dans mes limites (vous commencez à comprendre ), j’ai décidé à me faire plaisir et à me rafraichir à presque tous les cours d’eau qui croisaient mon chemin : je les entendaient, anticipait leur enjambement et pour refroidir ma température corporelle m’humectait les bras, la nuque, le visage, la tête et… certaines parties hautes des jambes car, j’ai eu de sévères irritations! Enlever la sueur de ces parties me procurait une douleur intense au début, puis le soulagement s’installait pour quelques minutes, le temps que cette eau salée s’extirpant ce mon corps ne vienne recouvrir ces parties déjà trop sensibles… mais bon… chaque geste compte pour un esprit sur le bord de la dérision. Quelques gorgées d’eau complétaient ces arrêts de 1 minutes qui m’ont aidé à conserver un semblant de lucidité dans la nuit profonde et au plus dur vers la fin.
Au trois quart de la course, j’étais content de revoir Sylvain qui m’a donc rejoint et dépassé avec sa meilleure préparation, expérience de longue distance et gestion de son énergie pour ce défi. Comme disait mon beau-père : l’expérience ça ne s’achète pas, ça se paie! J’ai assurément manqué trop d’entrainements qui auraient pu payer cette expérience additionnelle qui aurait été bénéfique à ce stade de la course. Ma limite se trouvait dans la finalité de l’épreuve et non la performance ultime.
Courir sans bâtons fut ma stratégie, par paresse ou réel efficacité. Quelques coureurs le font sans, la plupart avec. Ce sera mon prochain défi d’être alaise avec des bâtons, leçon que je n’ai pas su intégrer du dernier BU80.
Il ne faut pas passer sous silence les merveilleux ravitos : tous toujours aussi accueillants avec leurs thèmes, cris, musique, éclairage, enthousiasme, prêt à te servir. Rien que pour sentir ces ambiances, une longue distance de course en sentier en vaut la peine.
Tu t’assoies et on vient à toi pour combler TOUT tes besoins.
Remplissage d’électrolytes, nourriture (œufs, wrap au jambon, bananes, cartiers d’oranges, glucides divers, protéines…) tu es accueilli comme un roi, ou plutôt traité comme une personne ayant un énorme besoin d’attention et de compassion face à ce défi qui demeure hors du commun faut-il le redire. Et ils y parviennent. A tous les ravitos je me suis senti important, me redonnant confiance pour la poursuite jusqu’au prochain point de ravitaillement.
Les bénévoles sont une des clés de la réussite d’un tel événement. Les remercier verbalement et sincèrement devient essentiel. J’ai opté pour une stratégie additionnelle en offrant deux bonbons au sirop d’érable à chaque ravito. Surpris et ravis un responsable a dit les faire tirer parmi les plus jeunes du groupe, d’autre mon traité de génie, ou encore sont restés ébahis que je traine une cargaison de ces sucreries pour les distribuer et non pas les manger pour me redonner de l’énergie. Une dame, qui m’avait probablement vu en donner à l’enregistrement, a prévenu sa collègue que j’allais faire quelque chose pour elle, puisqu’elle m’encourageait et était curieuse de comprendre ce qui était en train de se passer quand j’ai fouillé dans ma petite poche. A la vue de la sucrerie elle est restée bouche bée. Je venais de la rendre plus heureuse qu’elle ne l’était déjà, assise derrière la table de victuailles pour toute la journée à servir les coureurs. Des moments inoubliables.
J’aimerais bien que ce geste devienne une tradition pour les courses en sentier. A vous de voir, coureurs, comment en faire une tradition dans votre préparation pour ces grands événements.
Les km restants indiqués un à un par de grandes affiches ont été d’une aide psychologique essentielle. Espérer voir la suivante plus ou moins rapidement selon le terrain et la fréquence de course ou marche. Ne jamais anticiper toutefois l’heure à laquelle le prochain ravito sera atteint. Je pensais parfois à mon heure d’arrivée qui s’éloignait constamment jusqu’à se stabiliser à 23h de course dans les 3 dernières heures d’une section plus « facile » était-il écrit dans la documentation de préparation. Ne surtout pas se réjouir d’une douche et un bon repas à l’arrivée : je m’interdisais toute récompense de peur que mon cerveau ne flanche avec des pensées trop enthousiastes!
Force est d’admettre qu’à 11 min/km en moyenne, ça représente une marche rapide soutenue plus qu’une course, du moins pour moi.
On nous avait avertis que depuis 10 ans, année après année, 50% des coureurs prenant le départ du 125 km ne franchiraient pas la ligne d’arrivée! Ce fut encore le cas et même 66% dans la tranche d’âge H50-59 ont dû abdiquer… rien pour faire aimer ce sport où l’accomplissement et le dépassement de soi doit demeurer très personnel.
D’ailleurs, comment peut-on définir notre limite? La dépasser représente un arrêt; la repousser une progression peut-être?
La Montagne Noire, où mon bon ami Sébastien (le gars à la moutarde du BU80) m’y attendait, représentait le dernier défi avant la descente de 8km qui menait à l’arrivée. Ça fait énormément de bien de croiser des personnes que l’on connait, surtout après 22h de constante concentration à éviter les obstacles d’un parcours naturel, bien taillé pour les courses en sentier de réputations internationales.
L’arrivée sinueuse garantissait le passage entre les 2 LOUPS de l’Ultra Trail d’Harricana. La foule massée à cet endroit vous donne un regain d’énergie pour parcourir les quelques dernières centaines de mètres. On vous encourage, crie votre nom, donne des Hi Five, des tapes dans le dos pour démontrer le respect qu’ils ont pour vous. Ils connaissent assurément des personnes dans leur entourage qui pratiquent ce sport de fou et apprécient l’effort déployé pour arriver à ce point, peu importe la distance parcourue.
Quel sentiment incroyable de relâchement total du stress dans mon corps en réalisant que j'ai accompli ce que je pensais possible il y a 10 mois, lorsque je me suis inscrit et qui, au fur et à mesure des kilomètres parcourus lors de l'entraînement, semblait être un défi improbable. J’ai versé quelques larmes, tête et bras appuyés sur la clôture me séparant des amis du CTB; un autre réconfort de me savoir entouré de gens que je côtoie régulièrement et qui partagent la même passion.
Courir est difficile pour tout notre corps; courir en sentier l’est encore plus et ajoute l’aspect d’influx nerveux qui y circule des millions de fois par secondes pour anticiper comment placer ses pieds, garder son équilibre, amortir les chocs à chaque pas d’une façon différente en fonction de l’information recueillie par nos yeux et les sensations ressenties du profil du sol.
BRAVO à tous ceux qui pratiquent ce merveilleux sport; il vous gardera jeune de corps et d’esprit, à l’intérieur des limites que vous vous fixerez.
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